Qui étaient les Géants
Une nécropole ou un cimetière monumental où l’on pratiquait probablement une espèce de rituel funéraire dédié à la célébration de jeunes héros reposant individuellement dans des tombes alignées le long d’un long chemin rectiligne orné de statues monumentales représentant des guerriers, des archers
et des pugilistes : voilà ce qu’est le Mont’e Prama.
Mais qui étaient les hommes dignes d’une telle célébration ? L’anthropologie physique a essayé de nous en apprendre quelque chose.
Les fouilles
Les fouilles archéologiques ont permis de découvrir de nombreuses tombes et autant d’inhumations.
Des années 1970 à l’heure actuelle, environ 125 tombes ont été retrouvées pouvant être rattachées aux types de celles retrouvées au Mont’e Prama (voir également la section «Découverte et fouilles»“). Parmi celles-ci, un peu plus de 60 tombes ont été fouillées, dont certaines largement étudiées, tandis que d’autres sont encore en cours d’étude.
Dans les années 1970, 41 des 62 tombes identifiées ont été fouillées. Ces fouilles ont livré autant de restes d’inhumés, étudiés par Ornella Fonzo et Elsa Pacciani – spécialisées en anthropologie physique (de l’ancienne Direction régionale archéologique de la Toscane) – et analysés au Laboratoire d’archéo anthropologie de la Direction régionale pour les biens archéologiques de la Toscane.
Avec la reprise des fouilles en 2014, entre le 24 septembre et le 30 novembre de la même année, 16 tombes ont été fouillées, dont 8 tombes à dalle de couverture et 8 tombes à fosse individuelle. Les fouilles et la récupération des restes d’inhumés ont été planifiées et réalisées dans le but de prélever des échantillons ostéologiques et sédimentaires pour l’analyse de l’ADN ancien.
En 2015, 28 tombes ont été retrouvées. Une fouille systématique a été effectuée sur 6 tombes situées dans le secteur dit « Bedini » et dont les types se réfèrent à 3 tombes à dalle de couverture et 3 à fosse individuelle ou à chambre.
Les données collectées par l’anthropologue physique Ornella Fonzo lors des fouilles et de la récupération des restes d’inhumés ont été analysées au Laboratoire d’archéo anthropologie de la Direction régionale de l’archéologie, des Beaux-Arts et du paysage de la ville métropolitaine de Cagliari et des provinces d’Oristano et du Sud de la Sardaigne.
Comment les restes d’inhumés ont-ils été récupérés ?
Au cours des fouilles de 2014-2015, des anthropologues sur le terrain ont personnellement effectué et vérifié toutes les opérations permettant l’identification de chacun des objets au fur et à mesure de leur mise au jour, la description de leur emplacement et leur conservation préliminaire.
Les archéologues au travail portaient une combinaison à capuche, un masque et des gants, afin de préserver les ossements de la pollution en vue des analyses futures.
Les niveaux superficiels ont été travaillés à la truelle d’archéologie (petite et pointue, c’est l’outil de l’archéologue par excellence) et le pinceau plat, pour passer ensuite à des instruments plus fins comme les scalpels anatomiques et les pinceaux plus étroits avant d’utiliser, près des os, des spatules en buis et des pinceaux fins.
La terre a été retirée avec une balayette et une petite pelle ou avec un aspirateur à faible puissance.
En raison de la forme des tombes, la fouille était plutôt inconfortable avec une mauvaise visibilité et un manque d’air à l’intérieur.
Après la récupération des ossements, les squelettes ont été traités un par un et maintenus séparés en permanence, l’état des surfaces osseuses ne permettant pas le marquage de chaque pièce. Les pièces ont été photographiées avant que la terre n’en soit enlevée. En raison de leur extrême fragilité, les os ont été soumis à un nettoyage mécanique avec des spatules en bois et des pinceaux. Lorsque les surfaces le permettaient, elles étaient également traitées avec une brosse douce humidifiée avec de l’eau. Les couronnes dentaires ont également été soumises à ce traitement, à l’exception de quelques-unes et des racines qui pouvaient se briser si elles étaient humidifiées.
Pendant le nettoyage, des échantillons de sol ont été prélevés pour compléter l’échantillonnage effectué pendant la fouille.
Entre 2016 et 2018, la Direction régionale de l’archéologie, des Beaux-Arts et du paysage de la ville métropolitaine de Cagliari et des provinces d’Oristano et du Sud de la Sardaigne a effectué de courtes prospections ayant permis la découverte de nombreuses tombes, dont seules trois à fosse individuelle ont été fouillées. Les données sont encore en cours d’analyse et d’étude.
Les inhumations de la nécropole du Mont’e Prama
Sur la base des observations faites lors des fouilles, de la position des ossements au moment de leur découverte et de leur état de conservation, de la documentation photographique et de l’étude des restes squelettiques en laboratoire, la sépulture des défunts semble être primaire, c’est-à-dire non sujette à des altérations ou à des déplacements successifs.
Dans les tombes recouvertes d’une dalle, les défunts reposaient assis au fond des fosses individuelles, généralement le dos vers l’Est, les genoux complètement pliés sur la poitrine, les chevilles souvent croisées, les bras pliés et les mains devant la poitrine. Le crâne devait être incliné vers la poitrine, pour ensuite se désarticuler et retomber dans l’espace entre l’abdomen et les cuisses. Il n’a en effet pas été possible de reconstituer l’orientation originelle du visage car, lorsque les parties molles se sont décomposées, le crâne est tombé vers le bas. Les membres inférieurs étaient toujours complètement pliés, les genoux écartés vers le haut, les pieds proches du bassin et rapprochés. Les membres supérieurs étaient également pliés, les coudes étant plus ou moins éloignés du tronc et les mains ramenées devant celui-ci.
Les os étaient en mauvais état de conservation, érodés et écaillés. Cela a rendu difficile la collecte de certaines données. Néanmoins, une analyse anthropologique a pu être réalisée, l’âge au décès et le sexe ont été diagnostiqués sur la base des éléments morphologiques (c’est-à-dire l’étude et l’analyse des formes) et morphométriques (c’est-à-dire l’étude et l’analyse des mesures) qui avaient été relevés. Le degré d’usure des dents a également été mesuré et les caries ont été codées.
Sur quelques squelettes, la musculature a été analysée et certains caractères pathologiques ont été trouvés.
Enfin, des échantillons d’os ont été prélevés en vue d’une datation absolue et une d’analyse isotopique visant à l’étude du régime alimentaire. Ces recherches sont encore en cours.
De jeunes hommes
Les analyses génétiques effectuées sur les dents indiquent une communauté fermée pratiquant probablement l’endogamie, c’est-à-dire que les mariages étaient contractés au sein du même groupe social. Cela suggère que les individus inhumés au Mont’e Prama appartenaient au même groupe parental. Le sexe et l’âge de la plupart des spécimens trouvés ont été déterminés. Les individus de sexe masculin sont nettement plus nombreux que les individus de sexe féminin.
L’analyse des 41 individus retrouvés lors des fouilles des années 1970 a révélé 27 hommes, 1 femme, probablement 4 autres femmes et 9 dont le sexe n’a pu être déterminé. Les études de l’ADN réalisées sur les êtres inhumés mis au jour en 2014 (certaines ont été partiellement publiées alors que d’autres sont encore en cours) révèlent que 9 individus étaient de sexe masculin.Les analyses des 6 individus inhumés mis au jour en 2015 montrent qu’il s’agit d’individus de sexe masculin.
Quant à l’âge de ces individus, les analyses montrent l’absence de nourrissons et de personnes âgées, la présence d’une douzaine d’individus âgés de 15 à 18 ans et la prévalence de «jeunes adultes» (21-42 ans). L’âge des êtres inhumés à leur décès est un trait saillant et caractéristique des défunts du Mont’e Prama. Ceci est particulièrement important pour comprendre la connotation du groupe par rapport à sa population d’appartenance.
L’absence de nourrissons et de personnes âgées, la présence de nombreux adolescents ou de très jeunes adultes ainsi que la prépondérance de jeunes adultes ont conduit les chercheurs à penser qu’il s’agissait d’un cimetière sélectif en fonction du sexe d’abord, puis d’un critère basé sur le rôle et la fonction sociale.
Athlètes, guerriers, héros
Les hommes ont des éléments distinctifs de robustesse avec des insertions musculaires très prononcées semblant délimiter un groupe voué à une activité physique intense et répétée, impliquant aussi bien les membres supérieurs que les membres inférieurs: 80% (fréquence inhabituellement élevée) de l’échantillon masculin (fouilles Bedini-Tronchetti) présentent, par exemple, des marques de stress dans les fémurs dues au travail et à l’effort, comme la flexion et la torsion des cuisses.
Étaient-ils des athlètes ou des guerriers choisis ?
Leur analyse individuelle détaillée permet de retracer les mouvements spécifiques effectués fréquemment et sous l’effort: chez certains sujets, on a pu déduire l’utilisation récurrente du bras droit associée à l’épaule, du bras et de l’avant-bras accompagnée d’une forte préhension de la main.
S’agissait-il de guerriers maniant l’épée ?
Que mangeaient-ils ?
Dans le cadre d’un projet d’étude paléo-nutritionnelle et paléo-climatique de la Sardaigne, la nécropole du Mont’e Prama a fourni un échantillon exceptionnel, d’une part parce qu’il s’agit d’un contexte fermé, d’autre part parce que c’est le premier groupe humain important de l’âge du Fer étudié jusqu’à présent en Sardaigne.
La reconstitution du régime alimentaire paléolithique se base sur une mesure que les chercheurs appellent les isotopes stables de carbone et d’azote du collagène, car ceux-ci reflètent en grande partie la composition des aliments consommée au cours de la vie d’un individu. Cette analyse a donc permis de connaître l’origine des protéines dans le régime alimentaire moyen d’un échantillon du groupe au cours des années précédant le décès. Une attention particulière a été accordée à la consommation éventuelle d’aliments d’origine marine et à tout changement de régime alimentaire dans le temps ou au sein du groupe.
Le cadre alimentaire défini de la sorte montre une augmentation de la proportion de protéines animales des phases les plus anciennes aux phases les plus récentes et, dans les phases récentes, une augmentation de l’apport en protéines provenant des produits de la mer.
SOn peut ainsi supposer que l’ensemble du groupe humain du Mont’e Prama faisait également usage de l’alimentation comme signe pour marquer son statut.
En comparant ces données avec d’autres provenant de sépultures moins « distinguées » en Sardaigne, et en les interprétant avec prudence, on peut dire des individus inhumés au Mont’e Prama qu’ils appartenaient à un groupe privilégié et d’élite élaborant progressivement son identité.
Quand ont-ils vécu ?
Dans le cadre de ce projet d’étude concernant la paléo nutrition et le paléo climat en Sardaigne, la méthode de datation au carbone par spectrométrie de masse par accélérateur a été appliquée sur un échantillon d’ossements.
Ainsi, 15 datations sur 13 tombes et 3 datations sur des ossements d’animaux trouvés dans deux couches de la pièce B ont pour l’instant été réalisées dans les laboratoires des villes de Heidelberg, Groningue, Caserte et Miami. Ces datations ont été faites sur : les fosses de type 1 des nécropoles Bedini et Tronchetti, les fosses de type 2 et de type intermédiaire de la nécropole Bedini, les tombes à dalles des nécropoles Bedini et Tronchetti, les fosses de la nécropole 2014 similaires au type 1, les tombes à dalles de la nécropole 2014 et l’édifice B.
L’image qui se dégage de toutes ces datations radiocarbone n’étant pas encore suffisante ni complètement cohérente, elle manque donc de fiabilité pour faire des évaluations statistiques. En effet, certaines tombes stratigraphiquement homogènes d’un point de vue archéologique ont révélé des datations très différentes et, dans certains cas, la datation au radiocarbone diffère complètement de la datation archéologique des récipients en céramique trouvés sous les défunts.
En général, les premières datations réalisées dans les laboratoires de Groningue et Caserte semblent être plus anciennes que celles faites plus tard dans deux laboratoires différents de Miami.
Compte tenu donc de toutes ces questions pour le moment sans réponse, les chercheurs acceptent encore l’hypothèse du développement chronologique de la nécropole du Mont’e Prama selon les phases suivantes: d’abord les fosses simples (type 1) des nécropoles Bedini et Tronchetti, puis les tombes à dalle (type 2) de la nécropole Bedini à différents moments et selon des organisations différentes, enfin la longue rangée des tombes à dalles des nécropoles Bedini, Tronchetti et 2014, réalisée en succession possible du Nord au Sud.